Archives mensuelles : février 2013

Histoire d’une photo – Laguna Colorada

Fév
21

7573-voyage-bolivie-Lamas-Laguna-Colorada-panorama-sentucqEn 2004, je tente avec ma compagne une traversée à pied et en stop du Sud Lipez en évitant les agences de tourisme. La perspective de passer des journées tassés dans un 4×4 inconfortable qui n’autorise que des pauses photo express ne nous enthousiasme guère. Mais tout est fait pour que l’on ne puisse y échapper. Chiche !

Cette région dont l’altitude moyenne se situe vers les 4.300 m est l’une des plus arides de la planète. Nous commençons par une période de quelques jours d’acclimatation à la haute altitude dans les pourtours du désert d’Atacama. A notre arrivée à la Laguna Verde, tout près de la frontière Chili-Bolivie, une grève générale débute et plus aucun véhicule n’a le droit de circuler… Il est très difficile de savoir si l’on peut s’approvisionner en eau sur la première partie du parcours, aussi nous renonçons à l’idée de partir à pied.

Nous restons bloqués là, et passons 3 nuits sous notre tente, à – 20°C, avant d’être enfin pris en stop par les membres d’une délégation syndicale. Ceux-ci nous conduisent à l’usine la plus haute du monde, Apacheta, à 5.030 mètres d’altitude. Sur les flanc d’un volcan semi-actif, celle-ci extrait de l’acide borique et utilise le potentiel de nombreuses sources géothermiques (l’eau y sort à 88°C). Ambiance irréelle et moment de vie partagé avec ces ouvriers de l’extrême.

Le lendemain, nous nous faisons déposer à une journée de marche des berges de la Laguna Colorada que l’on souhaite atteindre. La marche est rapidement épuisante à cette altitude de 4.500 m. Nos sacs sont lourds du fait de notre autonomie en eau et en nourriture. Et après 1 semaine à subir un vent violent, des tornades de poussière, ceci dans un froid intense, on se sent écrasé de fatigue. Sans oublier le mal de crâne permanent dû à l’altitude.

Je décide de m’arrêter à un site que je pense stratégique. Le lendemain matin, à l’aube, des lamas et des flamants roses s’affairent tout près de nous. Un maigre ruisseau d’eau douce, ressource ici rarissime, se jette dans la lagune. Je déplie mon trépied, peaufine le cadrage. J’ai tout mon temps pour capter une scène idéalisée, en immersion totale dans leur milieu. Quelques heures plus tard, sous le soleil de l’après-midi, les algues de la lagune lui donneront cette couleur rouge si unique.

Anticiper et se donner le temps. Deux ingrédients nécessaires pour « voir de la manière la plus forte ». Le Sud-Lipez, un désert, impensable et insolite, qui se mérite !

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La photo prise quelques heures plus tard, toujours à moins de 100 m de la tente

Slow photographie

Fév
13

8782 Sabines, arbres endémiques , El Hierro, Canaries
Ces sabines (genévriers endémiques des Canaries) se courbent sous les vents forts qui soufflent dans la région. Après toute une journée à explorer cette « forêt » j’ai attendu la chaude lumière du soir et me suis allongé pour utiliser une sabine comme cadre.

Le slow est l’idée de ralentir ses activités afin d’améliorer durablement et profondément sa vie. En photographie, cela signifie peu de clichés mais de qualité. En somme, s’investir de longues journées épicuriennes à la réalisation d’une image.

Le passage au numérique a permis de se laisser aller sans retenue au discours technico-commercial qui remplit les comparatifs de la presse. Les capteurs de lumière et autres passeurs de rêves ont laissé la place aux technophiles en sommeil. Aiguiser son regard, on y pense, mais après l’acquisition de l’équipement idéal… jeu sans répit où l’on reste perpétuellement insatisfait et totalement dépendant de pulsions que le marché entretient.

Avec le numérique, difficile de ne pas commencer par mitrailler et se disperser. Puis l’on revient doucement à une pratique contemplative et reposante. Capter un peu de l’essence d’un lieu, déceler sa beauté, demande en effet disponibilité, concentration et mobilisation de nos compétences. C’est seulement dans le silence, la solitude, la lenteur… dans cette fécondité de l’ennui que s’expriment l’âme, la beauté, la passion.

La technologie amène des outils fantastiques et permet notamment, lors du traitement des images au « laboratoire numérique », de s’attarder longuement aux détails afin de s’approcher des images mentales recherchées. Pour contrebalancer ce temps de post-production sans cesse grandissant, j’essaie de ne pas être « consommé » lors des réalisations d’images, créant très peu de photographies mais source d’émotions.

Le bonheur est en chemin, alors autant ralentir.

Article annexe : Le slow Art : http://www.1618factory.com/le-panoramique/la-photographie-panoramique-adepte-naturelle-du-slow-art/

Les heures magiques

Fév
9

chateau-joux-doubs-aube
Château de Joux (Doubs) à l’aube, Août

Galen Rowell (1940-2002) expliquait que son rôle de photographe consistait à apporter une vision très personnelle à des paysages souvent célèbres en recherchant les instants où l’atmosphère et la lumière les subliment. Lors de ses randonnées photographiques, il partait en quête des « heures magiques ».

« Deux fois par jour, la lumière froide et bleue de la nuit vient se mêler avec les tons chauds de la lumière du jour. Pendant près d’une heure, tôt le matin ou tard le soir, les valeurs de la lumière se mélangent et créent des combinaisons sans fin, comme si quelqu’un dans le ciel secouait un kaléidoscope. Cet effet ne s’impose pas directement quand le soleil se lève ou se couche, mais quand ses rayons s’épanouissent en faisceaux qui irradient de toute part le pays et le ciel encore enveloppés de la lumière froide du crépuscule. »

Travaillant avec les éléments, il considérait que pour de bonnes photos, il ne suffisait pas seulement « d’être là au bon moment », mais qu’il fallait souvent courir après le bon moment. « Une bonne condition physique n’est pas superflue. »

Il s’inscrivait en faux contre l’idée largement diffusée qu’une bonne photo, c’est d’abord la perfection technique ! Non, le plus important, c’est l’émotion.

« Quand quelque chose dans un paysage te donne un sentiment fort, quand tu ne peux pas t’empêcher de dire « Whaou ! », alors c’est le bon moment. A l’inverse, si tu ne ressens rien, alors ta photo ne pourra jamais communiquer d’émotion à personne. En voyant les choses comme ça, on est bien parti pour trouver le moyen de communiquer cette émotion ».

Pour découvrir le travail de Galen Rowell : www.mountainlight.com

Pour aller plus loin sur le sujet, mon tutoriel : Le bon moment – Du concept d’une image : http://www.panoram-art.com/artiste-tutoriel-bon.moment.html