Archives mensuelles : mars 2015

Histoire d’une photo – la cascade de Cuisance

Mar
18

10592 Cascade de Cuisance (Jura), AoûtCascade de Cuisance, Jura – Fuji GX617, objectif SWD90mm f5.6, expostion 15s f/32

Un soleil brillant crée des reflets gênants ainsi qu’un fort contraste sur l’eau en mouvement. La lumière douce d’un ciel couvert est primordiale pour éviter les problèmes des ombres denses et conserver les détails des teintes délicates des hautes lumières laiteuses de l’eau. Seul un faible éclairage, diffusé par les nuages, autorise la maîtrise du contraste de la scène photographiée. Mais même sous un soleil voilé, celui-ci n’est pas toujours maitrisable et peut dicter une prise de vue lorsque le soleil est sous l’horizon.

Un temps gris facilite aussi l’adoption d’une pose longue, permettant d’obtenir l’effet de « filé », sans avoir à utiliser un filtre gris neutre. Il suffit de fermer le diaphragme suffisamment. Si la lumière est encore trop importante, le recours au filtre polariseur permet d’allonger de 4 fois la pose. Ce filtre a aussi l’avantage de réduire la brillance des feuillages humides en saturant et en différenciant leurs couleurs. Il est conseillé de l’orienter de façon à ce que son effet soit minimal afin de ne pas enlever les reflets utiles sur l’eau.

La vitesse d’obturation lente adéquate pour obtenir de jolies traînées évanescentes dépend de la vitesse du courant. Si la pose est trop courte, l’eau présente un aspect relativement commun, mais si elle est trop longue, le flot peut perdre tous ses détails et finit par ne plus être identifiable. Le secret est de trouver le meilleur rendu en effectuant des tests.

Une forte pluie ou un temps maussade me décide donc souvent à concentrer mon attention sur les forêts, les cours d’eau et les cascades… comme celle ci-dessus. Un puits de lumière chapeaute cette chute d’eau, faisant paraître obscure la forêt alentour. Conditions de lumières extrêmes. En raison de la végétation environnante, la lumière solaire directe atteint rarement la totalité de la scène. Le soir, la lumière réfléchie par le ciel reste dominante, mais le contraste est alors minimum bien que trop important encore.

J’attends donc un ciel très couvert, quasi noir, à l’aplomb de la trouée. Une fin de journée orageuse comble les espoirs de ma troisième journée d’attente. J’enfile mes chaussures de canyoning et marche dans l’eau froide jusqu’à une vasque pour installer mon trépied. Ma compagne Christine surveille le ciel, à la lisière de la forêt, pour m’indiquer la conjonction idéale : un ciel sombre au zénith et un soleil voilé derrière nous. Le vent se tait enfin, 15 secondes me sont nécessaires pour éclairer ce tableau chlorophyllien. Je me désengourdis les jambes en frottant énergiquement mes mollets avant de rejoindre la rive. Une heure d’attente s’est écoulée, plusieurs averses à protéger mon matériel, une parenthèse pour un photographe tout entier à surveiller les moindres détails nécessaires à la réussite de l’image qu’il a en tête !

La composition panoramique

Mar
5

13474 Collioure côte Vermeille Pyrénées-Orientales JuinCollioure, 7h du matin, mois de juin, le site rien que pour moi dans une sérénité totale !

Ah le plaisir de voir autrement, de « découper » dans le monde une autre portion du réel. Ce format panoramique, je lui suis tout dévoué, il est obsédant. Il m’aide à suspendre ces moments éphémères où la sensation de l’immensité de l’espace entre en harmonie avec l’élévation de l’âme. Il capture l’étendue du champ visuel humain en replaçant le sujet principal dans son environnement. Il délivre des photos avec un fort impact visuel, retranscrit en partie l’émotion vécue sur le terrain. Il dépeint ma façon de voir le monde et donne de l’intensité à ma passion.

Le sentiment d’espace et de vision périphérique est inhérent à l’allongement du cadre. Plus notre oeil voit une image étirée, plus il a l’impression qu’il est face à un large panorama : à angle de champ égal, une photo aux proportions allongées nous paraît plus « apaisante » et « vaste » qu’une photo 24×36. L’observateur ressent la tranquillité et la solitude vécues par le photographe pendant sa capture. Le « transport » dans la profondeur de l’image devient plus important que le sujet et il faut se mettre à regarder comme le « fait » l’appareil. Avec un objectif standard ou un téléobjectif on embrasse un champ moins large, mais on évoque toujours la grandeur du paysage en compressant la perspective de la scène. Ce format a tendance à tasser les plans vers l’horizon et donc privilégier le rythme de cette ligne. Il permet d’éliminer les parties inutiles de la scène — un ciel vide, un premier plan sans intérêt. Il nécessite souvent un point de vue surélevé et il n’est pas rare de se jucher sur un rocher.
Nouvelle vision, nouvelle inspiration !

De par sa forme allongée, le panoramique est sans doute le plus spectaculaire et le plus délicat des cadrages. La recherche d’un site qui se prête au format allongé est bien plus longue qu’en format standard. Il requiert une grande application afin de comprendre parfaitement ses subtilités et ses exigences de composition. Il a longtemps été réservé aux photos d’exception pour des sujets très bien composés et éclairés. Trois axes guident la recherche d’un cadrage panoramique dynamique :

– la volonté de remplir le cadre pour étaler l’action, donner de l’importance à toutes les parties de l’image y compris les coins. Les panoramiques ont la qualité d’attirer le spectateur au coeur de l’image et d’obliger son regard à circuler dans la périphérie. Le ratio 3:1 ne permet pas à l’oeil d’englober la totalité de la scène en une fois, ce qui correspond à la manière dont on observe une scène de la vie courante. De plus, en ralentissant la vitesse de scrutation, on prolonge l’intérêt pour l’image explorée.

– la volonté de dégager une perspective, de créer un « appel d’air » pour mettre l’accent sur un paysage lointain. Le format allongé est plus descriptif. Une photo raconte une histoire. Elle doit avoir un début qui attire l’œil dans la partie gauche, un milieu qui retient l’attention et une fin qui apporte une conclusion et permet de boucler. Un « solide » premier plan confère un fort sentiment de profondeur et d’échelle en raison des effets de perspective. Il n’est pas systématiquement nécessaire car on l’a vu le format panoramique contribue à cet effet. La composition harmonieuse et « lisible » guide ensuite le regard dans la profondeur de l’image sans lui permettre de sortir du cadre et en le ramenant à l’endroit initial. Chaque élément doit être bien présenté isolément tout en fonctionnant avec les autres.

– la volonté de capter une lumière idéale. Parce qu’un « grand-angle » comprend beaucoup d’informations visuelles et qu’il est difficile d’éliminer un élément indésirable, la qualité de la lumière, l’harmonie et les nuances des couleurs comptent bien davantage que le cadrage. Les images dramatiques n’apparaissent pas par chance et ont plus à voir avec une opération militaire en terme de logistique. Malgré cela il faut accepter l’idée de ne pas faire la moindre photo pendant plusieurs jours et d’en shooter 2 ou 3 lors d’une journée miraculeuse…

A noter que les images verticales ont un effet visuel complètement différent de celles qui sont composés dans le format paysage. Le sujet se retrouve coincé entre deux marges vraiment très étroites ! Remplies d’énergie et de tension, elles accentuent un avant plan et recourent à des fuyantes bien maîtrisées afin de dynamiser la fuite des plans vers le lointain.

Note : Ce post est la mise à jour 2015 de cet ancien tutoriel (pdf) paru initialement en 2001 sur le site galerie-photo.