Archives mensuelles : juin 2015

Photos Hi-Tech – 2/2 – Dévoiler un pan de l’invisible

Juin
23

14462    Coucher de lune derrière les palmiers, Mirissa (Sri-Lanka), SeptembreClair de lune sur mon île intérieure. Le numérique permet de figer des sujets mobiles dans la semi obscurité. Avec son verre dépoli (live-view) on prévisualise clairement son cadrage même quand la lumière est insuffisante.

Les outils servent aussi à libérer notre vision, créer des images profondément évocatrices, leur donner une réelle qualité éthérée, dévoiler un pan de l’invisible.
Les processus décrits ci-dessous nécessitent de prendre le contrôle du fil du temps. On condense un laps de temps sur une seule image qui n’est pas une réalité perceptible. Et l’on peut participer activement au processus de prise de vue, en sélectionnant les moments forts de ce moment, en ajoutant de la lumière…

Du flou en grand angle
Un grand angle à très large ouverture possède une profondeur de champ très restreinte. Il en existe une poignée fabriquée spécifiquement pour la NASA afin de capturer la face cachée de la lune. Stanley Kubrick en a utilisé dans Barry Lyndon*1 pour filmer des scènes éclairées seulement à la lueur des bougies. Le sujet se retrouve détaché de son environnement.
Heureusement, il existe la méthode Brenizer pour reproduire un tel effet sans se ruiner. On utilise un téléobjectif grand ouvert pour minimiser la zone de netteté et on prend autant d’images que nécessaire pour couvrir l’étendue visuelle.

Compresser le temps (en journée)
Galen Rowell cherchait à créer des images dynamiques, et quelle meilleure façon de stimuler notre imaginaire que de célébrer le « moment » sur l’ « instantané » et permettre de flouter des éléments mobiles dans une scène. Les filtres neutres*2 ralentissent l’ensemble du processus de fabrication. Ils désencombrent visuellement et permettent de s’imprégner davantage de notre environnement en attendant l’apparition de l’image capturée sur l’écran LCD. Cette anticipation croissante fait durer le moment.

Accumuler la lumière (la nuit)
Un capteur numérique permet de saisir le ciel nocturne*3 et sa « lumière rare ». Dans la journée, il est difficile de voir au-delà de la beauté superficielle d’un paysage. La nuit, il révèle sa force dans une sorte d’atmosphère surréaliste que nous ne pouvons percevoir avec nos propres sens. S’agglomère sur le capteur, figé en une seule image, tous ce qui a transpiré pendant l’exposition : le mouvement des nuages​​ ou des personnes, les variations d’éclairage…

Peindre avec la lumière
En plein jour le monde réel peu présenter des imperfections rédhibitoires. Au crépuscule, la technique du Light painting aide à reprendre le contrôle de l’image. Muni d’une lampe torche on révèle par la lumière des éléments du paysage, on laisse dans l’ombre les parties indésirables, on attire l’attention sur un détail, on change l’ambiance d’une scène en utilisant une couleur… tel que le ferait un peintre sur sa toile. On suggère une atmosphère mystique. Le banal se transforme en quelque chose de plus idyllique.

Dans toutes ces approches l’instant laisse la place au continuum espace-temps. On ralentit, on interroge puissamment notre rapport au cosmos et on tente de saisir un certain climat, un sentiment, une mélancolie, un souvenir… tous ses frissons qui rendent notre condition humaine si fascinante.

*1 Carl Zeiss Planar 50 mm f/0,7
*2 Voir mon billet Expositions longues avec filtre gris neutre
*3 billet à venir sur La photo nocturne

Photos Hi-Tech – 1/2 – Restituer le visible

Juin
9

12972 Les Volcans, Le Havre (Seine-Maritime), MaiLes Volcans, Le Havre. Un champ de 110°, un contraste lumineux important, un cadrage tout en perspective.

La technique et les outils servent à mieux représenter ce que l’on a perçu avec nos 9 sens* en éveil. Au risque de confusion, le cadre, la lumière et la composition d’une image sont là pour simplifier et guider l’attention, mettre en relation les éléments, exclure les distractions et mettre en valeur le sujet. Pour y parvenir on joue aussi avec les limitations techniques de l’appareil de prise de vue.

La dimension manquante
Les photos ont du mal à rendre en deux dimensions ces impressions de paysages où le relief, la profondeur et la perspective sont les clefs visuelles de la réussite.
En post-traitement, je l’accentue donc à la manière d’un peintre expressionniste qui utiliserait les subtilités des teintes et des tons pour déplacer le regard et créer la sensation de distance. La contre-illumination*1 (nuance de contrastes) assombrit le ciel et d’autres zones de l’image afin d’en faire apparaître d’autres plus lumineuses. C’est une façon de renforcer volontairement l’aspect dramatique, de créer de la profondeur et conduire l’œil.

Plage dynamique améliorée (DRI)
Avec les diapositives, on exposait pour les hautes lumières et on bouchait les ombres. A ce jour même les meilleurs capteurs numériques sont loin d’être en mesure de capturer l’étendue de lumière que nous pouvons voir avec nos yeux*2.
Pour m’en rapprocher, je réalise une photo pour déboucher les ombres, une pour récupérer de la matière dans les tons clairs (notamment pour faire ressortir les nuages) et une exposition normale. Je les mélange manuellement avec minutie pour ne garder que le meilleur de chacune. Ce n’est pas un processus automatisé et non maîtrisé comme le HDR. J’arrive à un résultat beaucoup plus intéressant comme si je n’avais pris qu’une seule photo exposée correctement.

Profondeur de champ étendue
Si l’œil a un champ de vision nette très étroit, il balaye un paysage d’un mouvement continu extrêmement rapide, ce qui donne l’impression de le percevoir net dans sa totalité.
En ouvrant grand le diaphragme d’un appareil on restitue cette vision instantanée et on souligne l’essence du sujet en l’isolant des éléments qui le distraient. En fermant le diaphragme on se rapproche au contraire de l’impression visuelle naturelle. Si cela s’avère insuffisant, je réalise plusieurs images avec des mises au point décalées. Qu’un processus automatisé soit utilisé ou pas, un résultat qualitatif requiert un travail délicat et de longue haleine*3.

Perception spatiale confinée
Notre propre vision est axée sur un champ de vision large. La façon la plus naturelle de voir est de tourner la tête horizontalement. Pour reproduire et transmettre cette impression de largeur (et d’étendue) le cadrage panoramique est idéal. A partir d’un champ visuel de 75° l’étirement des bords appelé distorsion de la perspective commence à perturber l’observation. La projection panini*4, inspirée d’une technique picturale utilisée pour réaliser des fresques, permet de limiter ce phénomène dans des limites acceptables tout en simulant des ultra-grand angle crédible de 100 ou 150°.

* Nous avons plus que 5 sens – Ep.11 – e-penser 🙂
*1 La plupart des peintres de la Renaissance, notamment Rembrandt, ont utilisé cette technique. Enseignée par la Hudson River School elle a suscité un genre qui lui est propre. Et elle a bien sûr été largement utilisée par les maîtres de la photographie noir et blanc comme Ansel Adams, Elliot Porter et Edward Weston (effet obtenu par un système de zone et de densité).
*2 Ecart entre les lumières les plus fortes et les ombres les plus sombres : diapositives (6 IL = 26), capteurs (12 IL), yeux (24 IL).
*3 De nombreux programmes sont conçus pour étendre la PdC : zerenesystems.com, heliconsoft.com. Les images provenant de différents points focaux ne se combinent pas parfaitement (lalongueur focale bouge avec la mise au point). Tout en étirant les images, je peins à la main et dessine les détails sur les bords touchées par l’assemblage.
*4 Voir mon billet Ultra-grand angle sans déformations apparentes