Archives mensuelles : juillet 2015

Proxi-photo, les paysages intimistes

Juil
21

6363 Chaos de Longues-sur-Mer, Plages du Souvenir, CalvadosLa pluie ce jour-là rendait difficile tout plan large. La scène montrait des pans entiers de la corniche de calcaire basculant et s’effondrant jusque sur l’estran. Je resserrais mon cadrage sur ces blocs attaqués par l’érosion, isolés et détruits. Loin d’être un paysage désolé, le chaos de Longues-sur-mer offre l’impression d’être toujours en mouvement, sans cesse renouvelé. Pendant une heure, j’organisais cette petite section de côte normande, sorte de fractale, qui se répétait sur des dizaines de kilomètres.

Qu’il résume en raccourci un site tout entier ou souligne l’aspect sur lequel glisse d’ordinaire l’œil, le détail révèle souvent plus les caractéristiques essentielles d’un site qu’une vue générale. Dans quel cas adopter cette approche du paysage miniature ?

La nature et les paysages sont une source de beauté intarissable. Les plans larges de scènes spectaculaires sont particulièrement recherchés. Mais de nombreux problèmes nécessitent d’être surmontés. Avant tout, une belle lumière est indispensable. Puis il faut avoir apporté l’objectif correspondant à la composition idéale, qui se doit de jeter un regard nouveau si le site est déjà connu. Les nuages doivent se répartir harmonieusement dans le ciel. Aucun élément indésirable ne doit dénaturer la vue d’ensemble : pylône, affiche publicitaire, voiture… Bien souvent, les conditions ne sont pas réunies, l’espoir est déçu et aucun cliché n’est pris.

Il n’est pourtant pas de temps mort à la pratique de la photographie de paysage. Si un plan large semble compromis, alors on peut s’intéresser aux détails, aux petites choses qui passent presque inaperçues. Le paysage de proximité nécessite une approche plus personnelle, permettant davantage d’interprétation et de créativité. Il oblige à être vigilant et à transformer son œil en objectif. Il permet plus sûrement de sortir des sentiers battus, de rapprocher et porter à l’attention des autres ce que l’œil ne voit jamais.
Le champ englobé de ces gros ou moyens plans peut varier de moins d’un mètre à quelques dizaines de mètres, sans trop isoler le sujet de son entourage immédiat pour ne pas le dépouiller de sa signification.

C’est l’horizon discontinu ou son absence qui caractérise les prises de vue rapprochées, rappelant que la photo est avant tout affaire d’abstraction : ce qu’elles excluent du cadre est aussi important que ce qu’elles incluent. L’accent est mis sur les formes, les couleurs, les textures, ainsi que sur la géométrie et les jeux d’ombres et de lumières. La photo obtenue est alors plus un assemblage de lignes et de surfaces qu’une représentation réaliste. Sans espaces ouverts, l’œil comme piégé se voit obligé de s’intéresser à l’effet graphique de l’image en dehors de son contexte.

En recentrant l’attention sur les plus petites choses, et en leur donnant dans l’image cadrée la place qu’on réserve habituellement aux grands édifices, montagnes, châteaux…, on rend les détails précieux et prenants. Le regard, un peu perdu par l’absence d’échelle, est attiré et cherche à se rapprocher pour explorer leur intimité, ressentir l’énergie de ces contractions visuelles, ces « extraits concentrés de paysages » qui évoquent leur totalité. Par cet artifice, on retrouve l’attention qui est habituellement réservée à leur réalisation ou à leur sauvegarde.

Les vues larges sont généralement porteuses de disharmonies et les photographes de grands espaces se concentrent sur les sites où il est plus facile de mettre de « l’ordre dans le chaos ». Dans un plan rapproché, ce qui perturbe l’équilibre de la composition peut s’extraire plus facilement par un changement d’échelle ou d’angle de vue. Il est possible d’arranger pendant des heures le paysage miniature, d’ôter toute distraction comme les mégots de cigarettes ou les bouts de papiers, de suggérer l’espace et la profondeur et d’y faire se promener le regard.
A petite échelle, la lumière douce devient un avantage car elle fait ressortir la texture. Idéalement, elle vient de côté, soulignant d’ombres bien nettes les moindres protubérances ou dénivellations. On utilise le maximum de profondeur de champ afin d’offrir à voir autant que possible la composition abstraite. Le trépied se révèle plus utile que jamais.

L’utilisation du format panoramique pour des vues de détail rend possible d’avoir deux ou trois scènes qui s’opposent ou se complètent sur le même cliché. L’image, encore plus compressée entre le haut et le bas du cadre, nécessite néanmoins de tourner la tête pour tout englober, en nous plaçant derrière les yeux d’un être réduit homothétiquement à la taille du paysage observé. Un pied de nez à la définition que donne le dictionnaire du panorama : « un vaste paysage vu d’un point élevé ».

La proxi-photo ouvre des opportunités innombrables. Il est plus facile d’apporter un regard neuf sur le monde qu’on ne voit pas d’ordinaire que sur les sujets ou les scènes clairement visibles à l’œil nu.

Histoire d’une photo – Canal du Midi

Juil
7

11252 Canal du Midi, AudeAppareil Fuji GX617, objectif W300mm f8.0, Film Provia 100F, Trépied carbone Gitzo, Expostion 4s f45 1/3

Reliant la Garonne à la mer Méditerranée, le canal du Midi emprunte le plus souvent la ligne droite sur les 241 km qu’il parcourt. Mais les aléas de la géographie l’obligent parfois à des détours. Et c’est précisément un S resserré qui siérait à mon format panoramique.

Tout commence par l’étude des cartes IGN. Impossible, vu le niveau de précision, d’en repérer sur les tracés. Mais cela me permet d’isoler 3 secteurs où le relief semble avoir mené la vie dure au chantier de construction. Mes deux premiers voyages me font ainsi parcourir à pied et dans les deux sens les chemins de halage. Passer plusieurs jours en repérage dans notre 21e siècle voué à la rentabilité peut étonner. Mais j’inscris mes photographies comme des quêtes pouvant nécessiter plusieurs années à leur réalisation. Mon plaisir est avant tout en chemin.

Lors d’un troisième voyage me faisant passer non loin du canal, je décide donc d’explorer un autre tronçon. Une surprise m’attend à l’endroit où je le rejoins, deux S consécutifs placés selon un axe perpendiculaire à la direction où le soleil se couche. Lors de mes précédentes recherches, les trois S déjà repérés n’étaient pas bien orientés ou n’avaient pas de belles allées de platanes de part et d’autre. Enfin toutes les conditions réunies. Du moins presque. Car le ciel est couvert et les nuages à l’horizon risquent de ne pas permettre au soleil couchant d’éclairer la voûte des arbres par en dessous.

C’est la raison pour laquelle la direction du méandre est importante. Idéalement j’ai besoin d’une lumière rasante et douce, diminuant le contraste provoqué par ces grands parasols naturels. Ne jamais se décourager. Je cherche longtemps le cadrage idéal, je prépare tout, et je me tiens prêt pour les 15 dernières minutes de jour. Il n’y aura que 10s d’éclairage, le temps de faire 1 seule photo. Je n’aurai la certitude d’avoir réussi que plusieurs semaines plus tard en examinant la diapositive.

Pour restituer ce site tout en profondeur avec ce double S, il m’a donc fallu choisir une lumière non seulement appropriée, mais aussi compatible avec les capacités de reproduction du film diapositif. L’appareil a été posé à ras le sol afin que la voûte formée par les branches de platanes ne cache pas l’extrémité visible du canal. L’absence totale de vent a permis un reflet parfait dans l’eau. Les couleurs du soir ont amené de la chaleur à la composition. Ces facteurs et d’autres ont été réfléchis afin de reproduire l’impression que l’on garde d’une promenade le long du canal. Pour plaire, l’image doit être construite comme un condensé des souvenirs tel que le cerveau les rapporte en les compilant et en les améliorant.