La nature maîtrisée du plateau du Cézallier, le symbole d’un beau paysage
Une invention urbaine
En France, un paysage s’offre au regard comme la traduction des activités de l’homme sur la surface du globe. Un paysage de campagne est ainsi façonné par des siècles de culture paysanne. Pourtant, les paysans, qui sont les acteurs les plus proches d’un pays, sont paradoxalement les plus éloignés d’un paysage. Ils circulent dans le pays qu’ils perçoivent en perpétuel changement. Les citadins, au contraire, bloquent leur regard, cadrent un site et figent le temps. La notion de paysage est né de leurs regards esthétiques : un lieu domestiqué, cultivé, paisible, un pays sage, la campagne proche visible de la ville.
L’attrait d’un beau paysage
Un pays n’est donc pas d’emblée un paysage. C’est par la médiation d’une culture et la notion de beauté qu’il le devient. L’art de poser un cadre sur un décor, d’isoler une portion d’espace et de le décrire comme s’il s’agissait d’un tableau. Harmonies et contrastes des couleurs, de la lumière, des lignes et des formes… La représentation d’un espace où l’on a envie d’aller pour aller plus loin encore, désir de partir et de découvrir ce que cache l’horizon, envie d’exercer sa liberté de mouvement, sentiment romantique puissant.
L’approche artistique
L’artiste paysager tente de dénicher les tableaux vivants qui préexistent dans la nature. C’est le plus merveilleux des enjeux. L’image tant convoitée se révèle alors comme une évidence incontournable et s’impose à celui ou celle qui sait ouvrir les yeux et s’abandonner. Aussi talentueux soit-ils, les photographes ne peuvent, à eux tout seul, inventer un paysage. Mais ils l’interprètent au-delà de l’évidence pour contribuer à la beauté originelle du monde et enrichir la condition humaine.
Une esthétique manipulée
Les romantiques et les artistes ont donc contribué au conditionnement social et culturel. Les « beaux paysages » revêtent un caractère profondément subjectif. « Modèles » ensuite propagés à l’ensemble de la population par les mass-médias et des agences de pubs… qui utilisent la puissance de cette sensation de beauté pour nous détourner de certains problèmes et développer la valeur marchande des paysages. Mystification publicitaire, manipulation sociale par le tourisme.
Quel futur ?
De nos jours, l’augmentation du tourisme vert et des sports de pleine nature engendrent un besoin de « paysage-spectacle ». L’entreprise du divertissement organise, avec obstination et de manière obsessionnelle, la mise en production des paysages. Les « belles » vues disparaissent et avec elles leurs bienfaits. Pour conjurer le sort, les âmes d’artistes, épris de sciences et de philosophie, tentent d’éduquer les regards pour donner envie de protéger notre environnement. Ils offrent leur vision particulière où l’ordinaire n’est qu’une apparence qui cache de l’extraordinaire. Ils aident à percevoir poétiquement* le monde qui nous entoure pour l’aimer simplement pour ce qu’il est.
* voir mon post : Les autres dimensions du paysages
Pour aller plus loin :
Alain Roger, La théorie du paysage en France (1794-1994)
Rodolph Christin, L’usure du monde : Critique de la déraison touristique (2014)
PS : La photographie aérienne (extrait du livre d’Alain Roger)
C’est avec la photographie aérienne oblique en couleurs que l’esthétique du paysage atteint aux harmonies les plus impressionnantes (au sens fort du mot impression) et aux effets de distanciation les plus majestueux : le paysage vu d’oblique à quelques centaines de mètres d’altitude devient totalement ordre et beauté : telle usine aux fumées pestilentielles, entourée d’accumulations de déchets nocifs, montrera d’en haut la logique de son plan, la blancheur du panache de fumée, et les teintes vives des monticules qui l’entourent trancheront sur la blancheur des étendues environnantes (il n’y a plus un brin d’herbe). La ville n’est plus le bruit, les embouteillages, les taudis ou le luxe des beaux quartiers, elle devient une structure bien organisée. (…) La vision esthétique des beaux paysages place le spectateur dans une disposition sentimentale de grande réceptivité : ce qui est beau est bien. Dans l’ordre qu’il découvre et qu’il admire pour sa forme et ses couleurs, il se sent presque alors la majesté du prince ou la sérénité de Dieu contemplant son ouvrage. On pourrait objecter qu’il ne s’agit pas d’une mise en scène préméditée.
Salut . Et merci pour tous ces articles remarquables et réfléchis …
j admire votre travail, en amateur averti passionné, j’apprécie votre regard critique sur le numérique avec internet que je partage totalement. Je vous ai rencontré ( je me répète ) lors d’une expo sur l’Ecosse à Paris, dans un lieux religieux je crois me souvenir…
Bravo encore … Et au plaisir de vous (re)lire.
JP
Merci JP, je continue mes réflexions-introspections. Je le déplore mais la photographie n’est devenue que technique et attente de la dernière nouveauté. S’il est bon parfois de se remettre à niveau question outils de travail tous les 4-5 ans, le reste du temps devrait être consacré à l’esthétisme et la philosophie.
Pour l’expo ce devait être l’Ancien Collège des Ecossais situé au 65 rue du Cardinal Lemoine, Paris 5e.
Hervé
Oui… C’est bien ça Hervé pour l’Ancien Collège…
Bonne continuation. JP
Bonjour Hervé,
Je reste toujours bouche bée devant tes cadrages panoramiques – les plus beaux que je connaisse en projection rectilinéaire – et cela depuis que je te connais. Le numérique n’y a d’ailleurs rien changé.
Je connaissais ta profondeur de vue pour avoir la chance de te rencontrer te temps à autres et je suis tout aussi admiratif de ta série d’articles, une des rares sur Internet qui m’interpelle et me donne envie de me poser pour réfléchir… tout cela en restant instinctif. Cette gageure était donc possible !
Merci pour tout. Arnaud.
Merci Arnaud
Nous faisons un bien beau métier. A travers nos blogs respectifs, nous tentons de simplifier la tâche des amateurs et passionnés de photo. Dans la jungle technologique sans cesse plus inextricable, nous portons l’attention sur les rares outils techniques essentiels. Afin de simplifier et d’utiliser ces outils pour servir notre part symbolique : émotion, esthétique, créativité, sens de l’existence…
J’aime beaucoup le concept d’Ivan Illich : une technique est conviviale quand elle sert à magnifier nos capacités !
Puissions nous encore longtemps éprouver ce plaisir des activités de fabrication libre et artistique.
Hervé