« Evadez-vous dans l’herbe et les gentianes sous le regard majestueux des glaciers, dans ces jardins remplis de toutes les merveilles de la nature. Gravissez les montagnes pour prendre un bol d’air frais et la paix de la Nature coulera en vous comme les rayons du soleil coulent à travers les arbres. Le vent vous insufflera sa fraîcheur, la tempête son énergie et vos soucis s’envoleront comme les feuilles d’automne… » (John Muir, 1898)
Définition
« Par wilderness, on entend cet environnement d’altitude, où tous ceux qui le désirent peuvent encore faire l’expérience d’une rencontre directe avec les grands espaces, et y éprouver en toute liberté la solitude, les silences, les rythmes, les dimensions, les lois naturelles et les dangers. »1
C’est donc l’état sauvage de la nature. Mais aussi l’expérience profonde, émotionnelle, poétique qui l’accompagne. Un état d’âme, ce ressenti indescriptible et intime, primordial et viscéral, de parenté et d’enracinement à la sauvagerie2.
John Muir, précurseur d’une éthique laïque de la Terre
Lors des premières rencontres des Grands Sites de France3, l’écrivain Kenneth White dépeint merveilleusement ce naturaliste qui œuvra à la préservation des espaces sauvages en Amérique.
« Aller dans la montagne, c’est aller chez soi. En découvrant le paysage, en ouvrant ses sens et son esprit, en activant toutes ses facultés, c’est soi-même, en plus grand, qu’on découvre. (…) De plus en plus, des esprits fatigués, usés, apathiques, sur-civilisés auraient besoin de se ressourcer, de se re-créer, et pour cela il faut réserver des espaces naturels, car ce n’est que dans la nature que l’on renaît. (…) Il est nécessaire de descendre l’homme du piédestal que la religion chrétienne (le monde est là pour son usage) et l’humanisme philosophique (l’homme est au centre de toutes choses) ont créé pour lui. »
L’écologie profonde
Ce courant de réflexion s’opposant à l’anthropocentrisme prône une gestion plus rationnelle des ressources naturelles, mais également la prise en compte d’une dimension éthique, celle de la responsabilité de l’homme vis-à-vis du monde naturel, et intègre la valeur esthétique de la nature.
Tendre vers l’harmonie du monde, insiste le pharmacien Jean-Patrick Costa, « c’est rendre une place centrale non pas à la nature mais à la relation entre les hommes et la nature, afin de fonder un tout indissociable ». C’est donc un acte de résistance contre le productivisme appliqué tyranniquement à chaque m².
Protection contre nature
La protection des milieux naturels et leur ménagements sont autant de paravents qui isolent l’homme de la sauvagerie de la nature. Comme le souligne François Terrasson, « créer des réserves, c’est accepter définitivement l’idée que l’homme et la nature ne peuvent coexister. » Pour les naturalistes tel Jean-Claude Génot, « la protection de la nature n’a pas à choisir entre l’homme et la nature. Mais il est fondamental de faire accepter l’état sauvage sans artifice, partout où cela est possible, au coeur de l’état civilisé, si l’on veut que l’homme l’accepte telles qu’elle est, et non telle que certains souhaitent qu’elle soit ».
Politique anti-nature
« Aujourd’hui, le parti de l’écologie politique en France montre un désintérêt pour la défense de la nature. On appelle même à éliminer les loups. On ne parle pas de la nécessité d’une politique de protection de la nature, d’éthique de la terre, de stabilisation économique et démographique ou d’une puissante culture du sentiment de la nature4. »
Edward Abbey
Pour parler de Wilderness, qui mieux que cet écrivain contestataire du courant « nature writing »5. Petit mixte personnel.
« Pas besoin de passeport, pas besoin d’examen, pas besoin d’équipement spécial, pas besoin de formation particulière. Voyager dans les espaces sauvages est le plaisir le plus libre, le moins cher et le plus démocratique qui soit. (…) On ne peut respirer qu’avec 2 km cube d’espace autour de soi. (…) Nous avons besoin de la nature, que nous y mettions le pied ou non. Il nous faut un refuge même si nous n’aurons peut-être jamais besoin d’y aller. Je n’irai peut-être jamais en Alaska, par exemple, mais je suis heureux que l’Alaska soit là. Nous avons besoin de pouvoir nous échapper aussi sûrement que nous avons besoin d’espoir ; sans cette possibilité, la vie urbaine pousserait tous les hommes au crime ou à la drogue ou à la psychanalyse. »
Le luxe de l’ermite
Le recours aux sites sauvages grandioses n’est envisageable que pour un nombre réduit d’individus. Sans aménagement, en l’état, ils n’attirent de toute façon que peu de monde. Mais dans la logique financière du tourisme de masse on y apporte les maux qu’on prétend fuir en quittant la ville.
Aldo Leopold, naturaliste précurseur de la décroissance, en parle dans son ‘Almanach du comté des sables’ : « Toute protection de la vie sauvage est vouée à l’échec, car pour chérir, nous avons besoin de voir et de caresser, et quand suffisamment de gens ont vu et caressé, il ne reste plus rien à chérir. »
Commençons par à apprendre à aimer et protéger nos petits espaces sauvages proches. Laissons les sites majeures aux anachorètes, aux aventuriers et pour nos rêves d’échappées6.
1 Les thèses de Biella, 1987
2 Wilderness qui es-tu ?
3 Une géographie d’espoir
4 L’expérience du lieu : perspectives géopoétiques, 1999, Kenneth White
5 L’écologie politique et la nature
6 Les éditions Gallmeister, spécialisé en « nature writing »
Fracas et puissance de l’eau, chaos de roches et de branches, une fenêtre de sauvagerie.