Calanque de Sugiton, Marseille, février 2016, une fenêtre de beauté de 170°
Notre monde est saturé d’images. En 2014, plus d’1 trillion de photos ont été partagées sur les réseaux sociaux… 1 milliard de milliard… Le nombre de déclenchements numériques de l’année a été supérieur au nombre de photos prises sur film depuis la naissance de la photographie ! Cette abondance menace aujourd’hui son existence comme art du regard et discipline intérieure.
Dans cette série de billets, je vous propose de réfléchir à cette question qui tourmente les passionnées de photos : face à ce tsunami d’images publiées chaque jour, quelle valeur gardent nos œuvres et quelles sont les raisons de continuer à en créer ?
Culture du paysage
Avoir du goût à contempler un paysage est une construction de l’esprit, une attitude mentale volontaire. Elle est née en Chine avec le premier poète paysager, Xie Lingyun (385-433), initiateur de la poésie descriptive de paysage. Bien plus tard, au XVe siècle, la peinture met en place l’esthétique dont héritera la photographie de paysage à partir de 1826, date de la première image d’une portion de territoire fixée de façon permanente.
Le paysage (idéal) type, ce « beau » paysage qu’on apprécie est celui que l’on reconnaît comme étant l’un des nôtres, parce qu’il appartient à notre culture et est susceptible de répondre à nos aspirations. Mais le préalable pour savoir regarder, c’est une éducation de l’œil et de l’esprit, une attention et une présence à ce que l’on fait. Tant de mécanismes physiologiques, techniques et de notions culturelles et historiques sous-tendent notre perception du monde environnant ! Pour comprendre, rendre compte et protéger ce dernier, il est nécessaire que chacun éduque son regard.
La France défigurée
La dégradation sensible du patrimoine paysager, commencée au début du XXe siècle, se poursuit au rythme effréné qu’impose notre société. Standardisation et uniformisation des esprits mais aussi du territoire. A cause des zones commerciales ou résidentielles hideuses, des enduits, du mobilier urbain, de la signalétique, de l’urbanisme… Partout, d’harmonieux terroirs sombrent esthétiquement, livrés à la merci du mauvais goût au nom de la croissance et des profits. On voit se manifester la puissance de l’argent, sa logique obsessionnelle et ses calculs à courte vue, pour la satisfaction d’un tout petit nombre. Epoque pressée, aveugle, inconsciente de la valeur de cet héritage, de ce qui fait l’identité des petits pays.
Le rôle des photographes
En ces temps modernes, la photographie peut interroger notre relation au monde. On ne reste pas indifférent si d’autres détruisent ce que l’on apprécie et qui nous semble utile… Ce miracle de diversités paysagères issu d’un long processus d’humanisation, ce patrimoine commun de la nation, comment clamer son importance ? Modestement, pour un photographe, en en rendant compte de la façon la plus plaisante et forte qui soit pour l’œil. De telles images doivent venir de l’intérieur, du cœur et de la sensibilité. L’œil compose en recherchant la simplicité et l’équilibre. Le mental réfléchit à ce que l’on essaie d’exprimer et de transmettre. Mais, pour ce faire, le photographe doit lui-même commencer par apprendre à être conscient de la valeur et de la beauté de ce qu’il voit.
Notes
La loi Barnier de 1995 affirme que ’Le paysage fait partie intégrante du patrimoine commun de la nation’.
Contre la pub-tréfaction’ des paysages : Paysages de France, France Nature Environnement, la Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France, le Collectif des déboulonneurs, Résistance à l’agression publicitaire…
Merci, j’ai toujours plaisir à lire vos billets, sans parler des images…
Bonne continuation,
Emmanuel
L’art photographique pourrait nous montrer plein de belle photo qu’on n’imaginerait pas exister. A travers les différents clichés qu’on trouve la vraie beauté de notre monde. C’est un article complet. MErci à vous.