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La révolution de l’impression directe + essais avec Webprint

Jan
20

Fin 2015, la société Webprint m’a proposé d’expérimenter certains de leurs matériaux de décoration murale. L’occasion pour moi de faire sur le point sur cette véritable mutation qui s’opère en ce moment dans la façon de présenter les photos. Après mon analyse de ce phénomène, mon retour d’expérience avec Webprint.

Faire l’économie du papier photo… pour des raisons de coût… bien sûr mais pas seulement. Imprimer directement sur n’importe quel support, bois, tissu, verre… c’est aussi tâter toutes sortes de matières. Afin d’harmoniser ses tirages avec les spécificités de son intérieur et l’ambiance recherchée. C’est pouvoir accrocher des tirages dans sa salle de bains, sa cuisine ou un espace extérieur protégé. Faire d’une photo un papier peint ou un brise-vue de jardin. Et bien d’autres idées déco intérieures ou extérieures, la liste s’allongeant chaque mois.

Cela fait 10 ans que je teste ces nouveaux matériaux et depuis quelques mois un constat s’impose : la qualité d’impression est devenue excellente. Bien sûr la matière mélange ses motifs aux points d’impressions, mais à distance d’observation (bras tendu) la qualité est bluffante et le mariage heureux. Ces supports restituent aux oeuvres leur poésie, leur légèreté et leur sérénité. Contraste, éclat, résolution, relief des détails… si tout peut encore légèrement s’améliorer, bien peu de gens trouveraient à redire sur le résultat actuel.

Voici 4 matières que j’ai pu tester pour métamorphoser son chez-soi en un oasis d’harmonie, de rêve et de zénitude !

1. Verre acrylique – de la brillance à votre photo
La photo est imprimée au dos du support plexi transparent, laissant exploser les couleurs. L’image se voit à travers le « verre » et rayonne d’intensité, d’éclat et de relief. Il s’en dégage une vitalité fascinante. Très sensible en revanche aux reflets en cas de source lumineuse proche.

2. Alu Dibond – un design épuré et moderne
La photo est imprimée directement sur une plaque de cette matière légère et pourtant très rigide. L’intensité des couleurs est étonnant. Presque sans reflet, il s’en dégage un calme céleste.

3. Toile montée sur cadre – l’invitation à la détente
La photo est imprimée sur tissu avec une grande netteté et des couleurs brillantes puis tendue sur un chassis en bois. Avec sa surface subtilement structurée, l’œuvre semble tridimensionnelle et pleine de vitalité.

4. Bois – un effet naturel et chaleureux
La photo est imprimée sur bois faisant apparaître subtilement les veines naturelles du bois. Parfait pour les intérieurs à la décoration plutôt rustique, ce matériau met très bien en valeur les motifs en lien avec la nature.

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Retour d’expérience avec Webprint

Cette entreprise néerlandaise d’impression en ligne a récemment créé une plateforme française. S’adressant au plus grand nombre elle propose pléthore de produits photo à petit prix. La navigation est simple d’utilisation.

Alors sans plus attendre mon verdict :
– définition d’impression : légèrement perfectible mais déjà excellente
– restitution des couleurs : rien à dire (si l’image envoyée a le profil sRVB)
– vérification des tirages : aucune pétouille ou infime défaut sur les 4 essais
– emballage : perfectible (pour les grands formats souvent malmenés par les transporteurs, ils travaillent à améliorer la protection)
– envoi : reçu à chaque fois rapidement

Quand on a connu comme moi, à la fin des années 90, les balbutiements des profils… on mesure le chemin parcouru. Désormais un profil est effectué pour chaque support. Que ce soit sur bois ou sur alu les teintes de mes images sont parfaitement restitués. Quant à la résolution d’impression on peut chipoter de près par comparaison avec un vrai tirage photo mais à distance d’observation on ne trouve plus rien à redire.

Ci-dessous quelques photos en situation.
La plaque Dibond fait 180x80cm, celle en bois 80×30 cm.

bois-large

bois-resolution

bois-tranche

dibond-large

dibond-resolution

dibond-tranche

Notes pour les amateurs avertis et experts 😉

Technophile mon ami, n’oublie pas de convertir les images que tu leur envoies dans l’espace de couleur internet (srvb). Car si l’immense majorité des amateurs prend ses images ainsi sans le savoir, les passionnées préfèrent quant à eux l’espace Adobe RVB ou Prophoto. Il serait utile que le site convertisse toutes les images envoyées dans l’espace colorimétrique d’internet et attribue cette espace par défaut aux images sans profil. Cela éviterait des déconvenues. Bien sûr une conversion directe vers le profil du support sélectionné serait encore mieux (autant éviter l’étape srvb).

Qui dit « s’adresser à un large public » signifie également un léger éclaircissement des images. C’est logique vu la quantité de portraits à traiter. En cas de sous-exposition de l’image, les visages seront reconnaissables. Encore une fois ce qui fonctionne 99% des fois est préjudiciable à ceux qui peaufinent leurs images. Donc pour les perfectionnistes, il vaut mieux appliquer un gamma de 0,8 à chacune des images avant de les envoyer. Dans l’avenir, un bouton permettant d’ « améliorer » la colorimétrie serait souhaitable. Ceux qui ne savent pas traiter leur image cocherait cette case.

Le site français de Webprint n’étant pas encore optimisé à son maximum, n’hésitez pas à leur faire des remarques constructives car ils sont à l’écoute. A ma connaissance les sites d’impression grand public n’ont pas cherché à s’adapter aux pratiques des passionnés de photo. A nous de les encourager dans cette voie.

Leur site : webprint.fr
Leur prestation de tirage sur bois, et celle sur dibond.

Proxi-photo, les paysages intimistes

Juil
21

6363 Chaos de Longues-sur-Mer, Plages du Souvenir, CalvadosLa pluie ce jour-là rendait difficile tout plan large. La scène montrait des pans entiers de la corniche de calcaire basculant et s’effondrant jusque sur l’estran. Je resserrais mon cadrage sur ces blocs attaqués par l’érosion, isolés et détruits. Loin d’être un paysage désolé, le chaos de Longues-sur-mer offre l’impression d’être toujours en mouvement, sans cesse renouvelé. Pendant une heure, j’organisais cette petite section de côte normande, sorte de fractale, qui se répétait sur des dizaines de kilomètres.

Qu’il résume en raccourci un site tout entier ou souligne l’aspect sur lequel glisse d’ordinaire l’œil, le détail révèle souvent plus les caractéristiques essentielles d’un site qu’une vue générale. Dans quel cas adopter cette approche du paysage miniature ?

La nature et les paysages sont une source de beauté intarissable. Les plans larges de scènes spectaculaires sont particulièrement recherchés. Mais de nombreux problèmes nécessitent d’être surmontés. Avant tout, une belle lumière est indispensable. Puis il faut avoir apporté l’objectif correspondant à la composition idéale, qui se doit de jeter un regard nouveau si le site est déjà connu. Les nuages doivent se répartir harmonieusement dans le ciel. Aucun élément indésirable ne doit dénaturer la vue d’ensemble : pylône, affiche publicitaire, voiture… Bien souvent, les conditions ne sont pas réunies, l’espoir est déçu et aucun cliché n’est pris.

Il n’est pourtant pas de temps mort à la pratique de la photographie de paysage. Si un plan large semble compromis, alors on peut s’intéresser aux détails, aux petites choses qui passent presque inaperçues. Le paysage de proximité nécessite une approche plus personnelle, permettant davantage d’interprétation et de créativité. Il oblige à être vigilant et à transformer son œil en objectif. Il permet plus sûrement de sortir des sentiers battus, de rapprocher et porter à l’attention des autres ce que l’œil ne voit jamais.
Le champ englobé de ces gros ou moyens plans peut varier de moins d’un mètre à quelques dizaines de mètres, sans trop isoler le sujet de son entourage immédiat pour ne pas le dépouiller de sa signification.

C’est l’horizon discontinu ou son absence qui caractérise les prises de vue rapprochées, rappelant que la photo est avant tout affaire d’abstraction : ce qu’elles excluent du cadre est aussi important que ce qu’elles incluent. L’accent est mis sur les formes, les couleurs, les textures, ainsi que sur la géométrie et les jeux d’ombres et de lumières. La photo obtenue est alors plus un assemblage de lignes et de surfaces qu’une représentation réaliste. Sans espaces ouverts, l’œil comme piégé se voit obligé de s’intéresser à l’effet graphique de l’image en dehors de son contexte.

En recentrant l’attention sur les plus petites choses, et en leur donnant dans l’image cadrée la place qu’on réserve habituellement aux grands édifices, montagnes, châteaux…, on rend les détails précieux et prenants. Le regard, un peu perdu par l’absence d’échelle, est attiré et cherche à se rapprocher pour explorer leur intimité, ressentir l’énergie de ces contractions visuelles, ces « extraits concentrés de paysages » qui évoquent leur totalité. Par cet artifice, on retrouve l’attention qui est habituellement réservée à leur réalisation ou à leur sauvegarde.

Les vues larges sont généralement porteuses de disharmonies et les photographes de grands espaces se concentrent sur les sites où il est plus facile de mettre de « l’ordre dans le chaos ». Dans un plan rapproché, ce qui perturbe l’équilibre de la composition peut s’extraire plus facilement par un changement d’échelle ou d’angle de vue. Il est possible d’arranger pendant des heures le paysage miniature, d’ôter toute distraction comme les mégots de cigarettes ou les bouts de papiers, de suggérer l’espace et la profondeur et d’y faire se promener le regard.
A petite échelle, la lumière douce devient un avantage car elle fait ressortir la texture. Idéalement, elle vient de côté, soulignant d’ombres bien nettes les moindres protubérances ou dénivellations. On utilise le maximum de profondeur de champ afin d’offrir à voir autant que possible la composition abstraite. Le trépied se révèle plus utile que jamais.

L’utilisation du format panoramique pour des vues de détail rend possible d’avoir deux ou trois scènes qui s’opposent ou se complètent sur le même cliché. L’image, encore plus compressée entre le haut et le bas du cadre, nécessite néanmoins de tourner la tête pour tout englober, en nous plaçant derrière les yeux d’un être réduit homothétiquement à la taille du paysage observé. Un pied de nez à la définition que donne le dictionnaire du panorama : « un vaste paysage vu d’un point élevé ».

La proxi-photo ouvre des opportunités innombrables. Il est plus facile d’apporter un regard neuf sur le monde qu’on ne voit pas d’ordinaire que sur les sujets ou les scènes clairement visibles à l’œil nu.

Création et vérité à l’ère du numérique – 2/2

Déc
31

« L’image prise sur le terrain, bien que nécessitant de solides connaissances techniques, est simplement la toile de fond à partir de laquelle je travaille à ma transformation magique. »
(Ansel Adams)

14581-espagne-Oasis-Laurence-d-Arabie-desert-des-Tabernas-panorama-sentucqLa lumière sculpte l’oasis bien plus que les éléments qui la composent.

L’honnêteté
L’art photographique entretient une relation unique avec la réalité elle-même. Les paysages que vous voyez dans mes images existent vraiment. Publiées et vendues, elles vont être vues par un public qui pourrait se rendre sur les lieux photographiés. Quelle stupeur s’ils ne retrouvaient pas mes compositions ! Mes images brutes sont bien sûr optimisées afin d’en tirer le maximum mais aucun post-traitement lourd ne peut rattraper une mauvaise composition ou une image floue, créer une belle lumière ou modifier un ciel de mi-journée en un coucher de soleil. Il faut passer du temps sur le terrain, se perfectionner, échouer maintes fois et persévérer jusqu’à ce qu’un moment rare se présente et que je parvienne à le capter.

Déjà vu
De nos jours, que de compositions semblables, que de photographes empruntant les mêmes styles artistiques. Pour ne pas copier, il faut donc tenter d’autres chemins, ce que nous permettent les nouveaux outils numériques.

Limites de l’équipement
La plus grande limitation du film était de ne pas permettre de photographier dans n’importe quelle condition. Pour les lieux très contrastés comme un canyon ou une forêt, il fallait autrefois un temps couvert. En numérique, on travaille à surmonter ces limitations techniques afin de délivrer les détails que l’œil humain peut voir et donc ainsi mieux servir la réalité du sujet. Que certaines images récentes ne ressemblent pas à ce que l’on obtenait à partir d’un film, s’explique par le fait qu’elles captent plus fidèlement la « réalité ».

9354-france-Hautes-Alpes-Cascade-de-Fontcouverte-Vallee-de-la-Claree-Massif-des-Cerces-panorama-sentucq 14704-france-Hautes-Alpes-Cascade-de-Fontcouverte-vallee-de-la-Claree-Nevache-panorama-sentucq
Version argentique 2007Version numérique 2014

Impact sur la vision et sa captation
Beaucoup de photos étaient inenvisageables auparavant. Par leurs possibilités, limitées uniquement par l’imagination du photographe, les outils numériques façonnent la prévisualisation des images. Pour reproduire le plus fidèlement la scène assemblée dans sa tête, il faut identifier clairement les défis à surmonter puis ramener toute la matière qui va permettre de la reconstituer. Ce processus sur le terrain est souvent plus difficile, plus complexe et plus créatif qu’il ne l’était en argentique.

Le post-traitement numérique
Désormais on peut capter de forts contrastes, une lumière directe de contre-jour voire positionner le soleil au centre du cadre, ceci grâce à de multiples expositions (HDR manuel). Des mises au point décalées permettent d’étendre la zone de netteté (de 10 cm à l’infini) comme le fait le balayage naturel du regard. Une exposition capte le « bon » mouvement de l’eau, une autre fige les fleurs battues par le vent…
Il faut penser in situ à tous ces clichés, qui une fois mélangés, reconstitueront notre regard d’artiste.

Vers une démarche picturale
Une bonne composition dirige l’œil d’un élément intéressant au suivant. Les images au grand angle panoramique sont très complexes car ils englobent souvent quatre ou cinq sujets à valoriser… et autant de distractions. En cela une image uniformément lumineuse est généralement un désavantage car seules les lignes de force (diagonales, courbes, verticales…) guident le regard. Ces dernières peuvent s’avérer insuffisantes pour créer ce flux visuel. L’obscurité, au contraire, est un élément de simplification. Elle estompe ce qui est secondaire et conduit l’œil à travers la lumière… J’essaie d’y remédier en post-traitement, par le choix des zones d’ombres, et la mise en lumière des points clefs. Ce qui permet de restituer également un peu plus de la profondeur en trois dimensions que mes yeux ont perçu sur place.

En guise de conclusion
Les capacités qui définissent les grands photographes sont d’abord et avant tout la façon de saisir l’instant et se l’approprier, de, souvent, réagir rapidement et précisément à des situations qui évoluent vite. En tenant compte du travail qui suivra en chambre noire numérique.
Le débat quant à la « manipulation » de la capture initiale est en train de disparaître. Ceux qui refusent d’évoluer dans leur façon d’appréhender cette question deviennent eux-mêmes obsolètes. Le post-traitement numérique est promis à un bel avenir et fait partie intégrante de la création artistique. La technologie doit être vu comme un moyen et non une fin. Associé à notre vision personnelle, elle permet de créer des photographies bigarrées, « intemporelles et visuellement saisissantes », comme les définissait Ansel Adams.

Création et vérité à l’ère du numérique – 1/2

Déc
24

« Soyez vous-même. Tous les autres sont déjà pris. » (Oscar Wilde)

11083-france-Charente-Maritime-Corderie-Royale-de-Rochefort-panorama-sentucqL’aube embrume la Corderie Royale de Rochefort.

Un débat vieux de 200 ans
Certains puristes restent accrochés à la croyance que l’image captée par l’appareil est la seule photo « réelle », et tout le reste n’est que manipulation. Un créatif choisit de consacrer son attention au pouvoir de l’observation, combiné au développement d’une vision personnelle. La technologie fait néanmoins partie intégrante du processus photographique depuis ses tout débuts. Et le talent s’exprime aussi par ce médium pour peu qu’on en fasse un usage intelligent.

Le temps de la maîtrise
L’art est le résultat de la maîtrise à la fois artistique et technique. D’abord les fondements, l’apprentissage des règles (par la pratique et l’étude) et la connaissance du travail de ceux qui nous ont précédé, demande 5 à 10 ans à temps plein et se fait en autodidacte. Puis l’on apprend à changer ces règles pour s’adapter à ses besoins créatifs propres.

Une vision créative et distinctive
L’acquisition de son propre style est la seule façon d’exprimer une réponse émotionnelle unique à un sujet spécifique. L’art faire sentir bien plus qu’il ne montre. Cette liberté de représenter les choses comme on les voit est appelé une interprétation1 personnelle. Développer un regard vraiment unique (son empreinte, sa signature) est l’ingrédient principal pour faire des images qui comptent, la technique seule ne suffit pas.

Se spécialiser et trouver un projet original
Les incitations à tout embrasser sont propres à la société de consommation. Sauf à vouloir raccourcir son espérance de vie à cause du stress qui en résulte, il est préférable de simplifier sa vie par un positionnement clair dans le domaine de l’art et en se concentrant sur un projet spécifique. Celui-ci doit avoir des objectifs et des délais précis et réalistes sans quoi rien n’aboutit et la démotivation guette. La principale préoccupation doit être la qualité plutôt que la quantité. En exprimant son talent, sa passion et son champ de créativité.

Du mésusage…
Contrairement à ce que scande sans cesse le marketing, la technologie et l’équipement ne suffisent pas pour devenir un professionnel et un créatif. Les tableaux célèbres ne découlent pas de l’utilisation de pinceaux « high-tech »… Quantité de proclamés experts ou professionnels ne sont en fait que des débutants qui s’appuient uniquement sur des logiciels pour produire des images bas de gamme. Acceptation éhontée de la médiocrité…

… au bon usage des outils technologiques
Les effets spéciaux hollywoodiens, les jeux vidéos ou plus simplement la surexposition au travail des créatifs de toute la planète grâce à internet… tout concours aujourd’hui à produire de meilleures images. A l’ère du (presque) tout numérique se faire assister dans son travail par la technologie permet de repousser sans cesse nos frontières et nous amène vers de nouvelles possibilités créatives, au-delà de la poursuite de ces moments de grâce tant attendus à la prise de vue.

A suivre… Dans la deuxième partie de cet article, je développerai l’impact du numérique sur l’esthétisme.

1 l’interprétation personnelle passe par l’utilisation de concepts artistiques : métaphoriques, hyperboliques, symboliques, esthétiques…

L’enseignement de Galen Rowell

Avr
1

12844-france-Seine-Maritime-Les-Hayons-Pays-de-Bray-panorama-sentucqLever de soleil dans le pays de Bray, Avril 2011 [Assemblage de 3 photos au 200 mm]

Au-delà de son talent et de son art opiniâtre et inspiré, Galen Rowell (1940-2002) reste un mentor pour de nombreux photographes intrépides de plein air. Par bien des aspects, son enseignement reste toujours d’actualité.

Dans notre société d’innovation permanente et épuisante, l’essentiel finit par être perdu de vue. Aux questions qu’on lui posait souvent : « Quel est le meilleur appareil ? Comment avez-vous pris cette belle image ? », Rowell répondait malicieusement : « La meilleure réponse est toujours le boîtier que vous avez avec vous. Pour la méthode, f/8 et être sur place ». Il rappelait ainsi que les réglages de l’appareil sont bien moins importants que d’être au bon endroit au bon moment, et qu’il fallait investir beaucoup de temps sur le terrain afin d’y être quand une bonne lumière se présentait.

Galen préfigure aussi la photo moderne qui ne cesse de s’alléger. Il était un photographe mobile préférant le matériel léger qui tendait à « libérer la créativité ». En ne s’encombrant pas, il restait aventureux et s’autorisait les cadrages les plus audacieux.

De nos jours, l’automatisation est clamée faire de nous tous des artistes… A quelques détails près, que nous rappelle Galen Rowell.

– La composition a complètement défié l’automatisation, et il en sera toujours ainsi. Il n’y a pas de règles absolues. Elle est le résultat de choix et de compromis, destiné à plaire à l’œil, conduite bien plus par l’intuition qu’un ensemble de règles.

– Trois éléments sont essentiels dans la construction d’une (bonne) photo : la compétence technique, une lumière magique et une vision personnelle identifiable.

– L’oeil doit se retrouver conduit dans la photo, et l’on essaie d’éliminer tous les éléments qui ne permettent pas d’atteindre cet objectif. On garde ceux qui se renforcent et entretiennent des relations géométriques harmonieuses et créent un message clair.

– Une image propre à créer une émotion doit transcender la réalité à l’aide de la « vision sélective » du photographe et non tenter de la répliquer fidèlement.

Pour se replonger dans sa pensée éclairante, son livre de référence reste : Moutain Light.

« Quand j’attends que la chance me sourit en allant à l’aventure en plein air avec un appareil photo, j’ai souvent le sentiment qu’il n’y a rien au monde que j’aimerais plus faire et aucun autre endroit où je serais plus à ma place. »

La présence humaine dans un paysage

Mar
27

14134-france-Corse-Trou-de-la-Bombe-Aiguilles-de-Bavella-panorama-sentucqTrou de la Bombe, Aiguilles de Bavella, Corse – Juin 2013 [145° de champ horizontal]
Après avoir escaladé la paroi, on atteint la trouée de 8m de diamètre. De l’autre côté un à-pic de 500 mètres… Epoustouflant !

On peut être amené à inclure un personnage dans sa composition pour trois principales raisons :
– diriger le regard vers un point de fuite, une zone particulièrement intéressante de l’image ;
– avoir un repère de taille ;
– ou simplement donner un côté plus commercial à son cliché.

La personne doit alors nécessairement exercer une activité en rapport avec son environnement, y interagir, y être engagée de manière concrète. On dramatise sa posture et sa gestuelle avec une séparation suffisante entre les jambes ou les bras. Toute attitude raide ou posée tue l’énergie et la vie de l’image.

Pour rendre tout l’espace d’un site dans lequel on introduit une présence humaine, il est important de garder une distance suffisante entre l’appareil et celle-ci. Elle lui donne ainsi son échelle, si possible en brisant la ligne d’horizon.

Il ne faut pas oublier que le paysage reste le sujet principal, l’individu mis en scène ne doit pas lui voler la vedette en captant trop l’attention. Il apparaîtra donc suffisamment petit et ne sera pas reconnaissable. On évitera qu’il fasse face à l’appareil, à moins qu’il n’y ait une bonne raison de le faire. Il sera silhouetté grâce à un contre-jour ou flouté par son mouvement à l’aide d’une pose longue.

Un humain isolé amène un sentiment de solitude et permet au lecteur à se placer facilement dans ses pas.

Deux humains renvoient à la camaraderie ou la romance (si c’est un couple). A partir de trois, on parle de groupe. Bien souvent le photographe n’a d’autre recours que l’autoportrait, utiliser son retardateur et courir comme un fou pour avoir le temps de se placer correctement.

Galen Rowell (1940-2002) fut un maître dans l’art de se mettre en scène dans les paysages. Il incluait un point visuel de référence dans chaque photo où il aurait été difficile pour le spectateur d’interpréter l’échelle. Ceci étant souvent la cas sur les sites géologiques où les roches peuvent submerger la taille d’une personne de leur énormité.
Cet auteur génial fera l’objet d’un prochain article.

Expositions longues avec les filtres gris neutre

Mai
20

Pont-Corneille-la-Seine-RouenPont Corneille, Rouen : 3s à f/16 avec le filtre gris neutre -10 IL
(augmentant de 1000 fois le temps de pose).

Un photographe peut choisir de compresser le temps dans une seule image. Celle-ci englobe ainsi les changements de lumière, de forme ou de position. Cet effet peut être pressenti et choisi ou dicté par le hasard. Il utilise pour ce faire des filtres ND (densité neutre) qui bloquent une certaine quantité de lumière et permettent des longues expositions allant jusqu’à plusieurs minutes en plein jour (en combinant plusieurs filtres dont les coefficients se multiplient).

Cette technique est particulièrement adaptée pour des compositions qui combinent à la fois des sujets statiques et d’autres en mouvement : écoulement de l’eau sur des rochers, formation nuageuse poussée par le vent, « capture » d’éclairs pendant un orage, milieu urbain où piétons et voitures en mouvement n’apparaissent que sous la forme de fantômes ou de filets, floutant ainsi panneaux et vitrines… Cette juxtaposition d’éléments permet de créer des scènes surréalistes ou fantastique.

NB :
* Autres utilisations : pour l’obtention d’une faible profondeur de champ (pour détacher le sujet de l’arrière-plan) et pour la photographie des sujets très lumineux (lumière artificielle trop abondante).
* Technique : mesure de lumière et composition à effectuer avant l’installation du filtre, mise au point manuelle, utilisation d’un trépied, d’un pare-soleil et d’un déclencheur souple, enfin réalisation… de nombreux essais.

Les meilleurs filtres ND seront de couleur complètement neutre et sans vignettage. Les 2 grandes marques sont Hoya et B&W. Attention, le taux d’atténuation réel n’est pas toujours celui annoncé sur la boîte.

B&W : 103 (-3 IL), 106 (-6 IL), 110 (-10 IL soit 210 = théoriquement 1000 fois moins de lumière)
Hoya : ND8 (- 3IL), ND16 (-4 IL), ND400 (- 8,5 IL)
Pour les filtres les plus denses, le Hoya présente une légère dérive colorée magenta alors que le B&W tire sur le brun. Ces tons peuvent être supprimés avec la balance des blancs.

NB :
* La marque Singh-Ray propose un vari N-Duo (de -2,7 à -8 IL). De même Heliopan a un vario ND (de -1 à à -6,6 IL).
* L’utilisation d’un filtre polarisant ne permet d’allonger l’exposition que d’un facteur 4 (-2 IL).
* En fermant pas mal le diaphragme (de f/8 à f/22 on perd -3 IL), on n’utilise plus l’objectif dans sa plage ‘piqué’.

L’été, la recherche des séparations géographiques

Mar
21

7843-france-Puy-de-Dome-Lac-de-Guery-Mont-Dore-panorama-sentucq
Lac de Guery, Sancy, Auvergne – la rencontre entre la forêt, la plaine, un lac, une chaîne de montagnes et le ciel

L’été est une période stimulante qui autorise de longues journées, présente un fort ensoleillement, des éclairages intéressants à l’aube et au crépuscule. Cependant la période de mi-juillet à mi-août est la moins attrayante : peu de jeux de lumière, des brumes de chaleur qui peuvent créer du flou lorsqu’on utilise un télé, une lumière dure – seulement 2h après l’aube – produisant un éclairage plat.

Les arbres et les plantes fleurissent, mais le paysage présente souvent une profusion de verts, soit une monotonie tonale, avec peu d’impact contrasté ou visuel. Or un panoramique contient une grande quantité d’informations visuelles ; si trop de valeurs tonales et de textures se retrouvent semblables, l’image ne convainc pas.

Il faut ainsi s’atteler à chercher des contrastes dans le paysage et explorer les limites, quand par exemple une forêt rejoint une rivière. Les photographies puissantes sont le résultat de contrastes – entre la lumière et l’ombre, entre deux couleurs, entre une lumière et une autre lumière. Ces juxtapositions sont fondamentales pour le succès d’une composition.

Le photographe Galen Rowell (1940-2002) énonçait ainsi sa théorie de paysage dynamique :
« Les espaces les plus intéressants du monde de la nature sont les limites, les arêtes, les frontières entre des reliefs, les endroits où l’océan se mêle à la terre, les prairies jouxtant les forêts, les bois atteignant les sommets. Ces séparations géographiques intéressent les scientifiques de la même manière que ces lignes de lumière me fascinent » (Mountain Light).

Aussi, pour les prochaines Grandes Vacances, partez explorer les limites 😉

Les heures magiques

Fév
9

chateau-joux-doubs-aube
Château de Joux (Doubs) à l’aube, Août

Galen Rowell (1940-2002) expliquait que son rôle de photographe consistait à apporter une vision très personnelle à des paysages souvent célèbres en recherchant les instants où l’atmosphère et la lumière les subliment. Lors de ses randonnées photographiques, il partait en quête des « heures magiques ».

« Deux fois par jour, la lumière froide et bleue de la nuit vient se mêler avec les tons chauds de la lumière du jour. Pendant près d’une heure, tôt le matin ou tard le soir, les valeurs de la lumière se mélangent et créent des combinaisons sans fin, comme si quelqu’un dans le ciel secouait un kaléidoscope. Cet effet ne s’impose pas directement quand le soleil se lève ou se couche, mais quand ses rayons s’épanouissent en faisceaux qui irradient de toute part le pays et le ciel encore enveloppés de la lumière froide du crépuscule. »

Travaillant avec les éléments, il considérait que pour de bonnes photos, il ne suffisait pas seulement « d’être là au bon moment », mais qu’il fallait souvent courir après le bon moment. « Une bonne condition physique n’est pas superflue. »

Il s’inscrivait en faux contre l’idée largement diffusée qu’une bonne photo, c’est d’abord la perfection technique ! Non, le plus important, c’est l’émotion.

« Quand quelque chose dans un paysage te donne un sentiment fort, quand tu ne peux pas t’empêcher de dire « Whaou ! », alors c’est le bon moment. A l’inverse, si tu ne ressens rien, alors ta photo ne pourra jamais communiquer d’émotion à personne. En voyant les choses comme ça, on est bien parti pour trouver le moyen de communiquer cette émotion ».

Pour découvrir le travail de Galen Rowell : www.mountainlight.com

Pour aller plus loin sur le sujet, mon tutoriel : Le bon moment – Du concept d’une image : http://www.panoram-art.com/artiste-tutoriel-bon.moment.html

Cadrer la lune dans le paysage

Jan
29

13581-france-Alpes-de-Haute-Provence-Lavandes-plateau-de-Valensole-panorama-sentucq
Plateau de Valensole, champ horizontal d’un 35mm, lune prise au 70mm

Cadrer la lune dans sa composition permet d’évoquer la romance, l’émerveillement, la fantaisie, le mystère, ou un sentiment « d’autre monde ».

Deux difficultés doivent être surmontés. La proportion, la lune apparaissant sur votre photo beaucoup plus petite qu’elle ne semble à l’œil nu ; la surexposition, la lune étant bien plus lumineuse que le reste du paysage. 

La lune est considérablement plus éloigné que l’arrière plan de la scène cadrée. L’effet de perspective d’un grand-angle tend à faire paraître divers plans d’une même image plus éloignés les uns des autres qu’en réalité. Sans que cela vous choque sur le moment car votre cerveau  « manipule » ce que apparaît dans votre viseur afin d’ajuster les anomalies provoquées par l’optique. Le retour à l’aspect «réel» dans votre photographie exige de reprendre une photo de la lune avec un objectif à focale moyenne et la réintégrer sur votre cadrage large.

C’est en réalisant cette deuxième image que l’on résout également la seconde difficulté, faisant d’une pierre deux coups. L’oeil est capable de détecter un bien plus large éventail de luminosité qu’un film ou un capteur numérique. Sur votre image au grand-angle (exposition de quelques secondes à quelques minutes), le paysage est bien exposé mais la lune parait « cramée » et sans détail. Sur votre deuxième image avec un objectif standard, il s’agit donc d’exposer correctement la lune (1/10 à 1/250 seconde).

Le sandwich des deux images restitue enfin la magie observée.