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Création et vérité à l’ère du numérique – 2/2

Déc
31

« L’image prise sur le terrain, bien que nécessitant de solides connaissances techniques, est simplement la toile de fond à partir de laquelle je travaille à ma transformation magique. »
(Ansel Adams)

14581-espagne-Oasis-Laurence-d-Arabie-desert-des-Tabernas-panorama-sentucqLa lumière sculpte l’oasis bien plus que les éléments qui la composent.

L’honnêteté
L’art photographique entretient une relation unique avec la réalité elle-même. Les paysages que vous voyez dans mes images existent vraiment. Publiées et vendues, elles vont être vues par un public qui pourrait se rendre sur les lieux photographiés. Quelle stupeur s’ils ne retrouvaient pas mes compositions ! Mes images brutes sont bien sûr optimisées afin d’en tirer le maximum mais aucun post-traitement lourd ne peut rattraper une mauvaise composition ou une image floue, créer une belle lumière ou modifier un ciel de mi-journée en un coucher de soleil. Il faut passer du temps sur le terrain, se perfectionner, échouer maintes fois et persévérer jusqu’à ce qu’un moment rare se présente et que je parvienne à le capter.

Déjà vu
De nos jours, que de compositions semblables, que de photographes empruntant les mêmes styles artistiques. Pour ne pas copier, il faut donc tenter d’autres chemins, ce que nous permettent les nouveaux outils numériques.

Limites de l’équipement
La plus grande limitation du film était de ne pas permettre de photographier dans n’importe quelle condition. Pour les lieux très contrastés comme un canyon ou une forêt, il fallait autrefois un temps couvert. En numérique, on travaille à surmonter ces limitations techniques afin de délivrer les détails que l’œil humain peut voir et donc ainsi mieux servir la réalité du sujet. Que certaines images récentes ne ressemblent pas à ce que l’on obtenait à partir d’un film, s’explique par le fait qu’elles captent plus fidèlement la « réalité ».

9354-france-Hautes-Alpes-Cascade-de-Fontcouverte-Vallee-de-la-Claree-Massif-des-Cerces-panorama-sentucq 14704-france-Hautes-Alpes-Cascade-de-Fontcouverte-vallee-de-la-Claree-Nevache-panorama-sentucq
Version argentique 2007Version numérique 2014

Impact sur la vision et sa captation
Beaucoup de photos étaient inenvisageables auparavant. Par leurs possibilités, limitées uniquement par l’imagination du photographe, les outils numériques façonnent la prévisualisation des images. Pour reproduire le plus fidèlement la scène assemblée dans sa tête, il faut identifier clairement les défis à surmonter puis ramener toute la matière qui va permettre de la reconstituer. Ce processus sur le terrain est souvent plus difficile, plus complexe et plus créatif qu’il ne l’était en argentique.

Le post-traitement numérique
Désormais on peut capter de forts contrastes, une lumière directe de contre-jour voire positionner le soleil au centre du cadre, ceci grâce à de multiples expositions (HDR manuel). Des mises au point décalées permettent d’étendre la zone de netteté (de 10 cm à l’infini) comme le fait le balayage naturel du regard. Une exposition capte le « bon » mouvement de l’eau, une autre fige les fleurs battues par le vent…
Il faut penser in situ à tous ces clichés, qui une fois mélangés, reconstitueront notre regard d’artiste.

Vers une démarche picturale
Une bonne composition dirige l’œil d’un élément intéressant au suivant. Les images au grand angle panoramique sont très complexes car ils englobent souvent quatre ou cinq sujets à valoriser… et autant de distractions. En cela une image uniformément lumineuse est généralement un désavantage car seules les lignes de force (diagonales, courbes, verticales…) guident le regard. Ces dernières peuvent s’avérer insuffisantes pour créer ce flux visuel. L’obscurité, au contraire, est un élément de simplification. Elle estompe ce qui est secondaire et conduit l’œil à travers la lumière… J’essaie d’y remédier en post-traitement, par le choix des zones d’ombres, et la mise en lumière des points clefs. Ce qui permet de restituer également un peu plus de la profondeur en trois dimensions que mes yeux ont perçu sur place.

En guise de conclusion
Les capacités qui définissent les grands photographes sont d’abord et avant tout la façon de saisir l’instant et se l’approprier, de, souvent, réagir rapidement et précisément à des situations qui évoluent vite. En tenant compte du travail qui suivra en chambre noire numérique.
Le débat quant à la « manipulation » de la capture initiale est en train de disparaître. Ceux qui refusent d’évoluer dans leur façon d’appréhender cette question deviennent eux-mêmes obsolètes. Le post-traitement numérique est promis à un bel avenir et fait partie intégrante de la création artistique. La technologie doit être vu comme un moyen et non une fin. Associé à notre vision personnelle, elle permet de créer des photographies bigarrées, « intemporelles et visuellement saisissantes », comme les définissait Ansel Adams.

Création et vérité à l’ère du numérique – 1/2

Déc
24

« Soyez vous-même. Tous les autres sont déjà pris. » (Oscar Wilde)

11083-france-Charente-Maritime-Corderie-Royale-de-Rochefort-panorama-sentucqL’aube embrume la Corderie Royale de Rochefort.

Un débat vieux de 200 ans
Certains puristes restent accrochés à la croyance que l’image captée par l’appareil est la seule photo « réelle », et tout le reste n’est que manipulation. Un créatif choisit de consacrer son attention au pouvoir de l’observation, combiné au développement d’une vision personnelle. La technologie fait néanmoins partie intégrante du processus photographique depuis ses tout débuts. Et le talent s’exprime aussi par ce médium pour peu qu’on en fasse un usage intelligent.

Le temps de la maîtrise
L’art est le résultat de la maîtrise à la fois artistique et technique. D’abord les fondements, l’apprentissage des règles (par la pratique et l’étude) et la connaissance du travail de ceux qui nous ont précédé, demande 5 à 10 ans à temps plein et se fait en autodidacte. Puis l’on apprend à changer ces règles pour s’adapter à ses besoins créatifs propres.

Une vision créative et distinctive
L’acquisition de son propre style est la seule façon d’exprimer une réponse émotionnelle unique à un sujet spécifique. L’art faire sentir bien plus qu’il ne montre. Cette liberté de représenter les choses comme on les voit est appelé une interprétation1 personnelle. Développer un regard vraiment unique (son empreinte, sa signature) est l’ingrédient principal pour faire des images qui comptent, la technique seule ne suffit pas.

Se spécialiser et trouver un projet original
Les incitations à tout embrasser sont propres à la société de consommation. Sauf à vouloir raccourcir son espérance de vie à cause du stress qui en résulte, il est préférable de simplifier sa vie par un positionnement clair dans le domaine de l’art et en se concentrant sur un projet spécifique. Celui-ci doit avoir des objectifs et des délais précis et réalistes sans quoi rien n’aboutit et la démotivation guette. La principale préoccupation doit être la qualité plutôt que la quantité. En exprimant son talent, sa passion et son champ de créativité.

Du mésusage…
Contrairement à ce que scande sans cesse le marketing, la technologie et l’équipement ne suffisent pas pour devenir un professionnel et un créatif. Les tableaux célèbres ne découlent pas de l’utilisation de pinceaux « high-tech »… Quantité de proclamés experts ou professionnels ne sont en fait que des débutants qui s’appuient uniquement sur des logiciels pour produire des images bas de gamme. Acceptation éhontée de la médiocrité…

… au bon usage des outils technologiques
Les effets spéciaux hollywoodiens, les jeux vidéos ou plus simplement la surexposition au travail des créatifs de toute la planète grâce à internet… tout concours aujourd’hui à produire de meilleures images. A l’ère du (presque) tout numérique se faire assister dans son travail par la technologie permet de repousser sans cesse nos frontières et nous amène vers de nouvelles possibilités créatives, au-delà de la poursuite de ces moments de grâce tant attendus à la prise de vue.

A suivre… Dans la deuxième partie de cet article, je développerai l’impact du numérique sur l’esthétisme.

1 l’interprétation personnelle passe par l’utilisation de concepts artistiques : métaphoriques, hyperboliques, symboliques, esthétiques…